Depuis le premier Janvier 2005 en Suisse, le taux d'alcoolémie au volant est descendu de 0.8 pour mille à 0.5 pour mille. Ce qui soulève quelques interrogations paradoxales.

Un individu qui avait l'habitude de boire deux ballons de rouge et tournait autour de 0.65 par exemple en rentrant chez lui était considéré comme un bon conducteur jusqu'au 31 décembre à 23h59. Circulez. Maintenant, c'est un criminel en puissance, sans rien avoir changé à ses habitudes (peut-être est-ce là son crime, diront les dirigistes.)

Pire encore, on peut imaginer ce conducteur sur la route lors du changement d'année : instantanément, par la magie du temps qui passe, il est devenu fautif! Alors qu'il aurait dû descendre de son véhicule en entendant les coups de minuit, pour dessoûler...

On peut aussi tourner le problème autrement : imaginons que, pour une fois, les pouvoirs publics ont fait ce qu'il fallait, que des études scientifiques irréprochables ont prouvé qu'à 0.51 pour mille un conducteur se transforme en monstre sanguinaire inconscient du danger. Mais alors, pourquoi avoir attendu le 31 décembre 2004 devant ces morts en puissance ? Pourquoi ne pas avoir décrété immédiatement le changement au lieu d'attendre de longs mois pendant lesquels les conducteurs tombaient comme des mouches ? Et plus suspect encore, pourquoi avoir précédemment défini une limite à 0.8 pour mille ? Était-ce cette limite-là qui était sortie du chapeau ?

Le passage à 0.5 pour mille est l'aveu implicite que la limite précédente était fausse. La conséquence directe, c'est que la nouvelle limite n'a aucune raison d'être meilleure, elle n'est pas plus justifiée que la précédente. Ce n'est qu'une décision arbitraire de plus.

Les défenseurs de l'étatisme argumenteront en disant qu'il faut bien placer une limite quelque part et que son tracé impliquera toujours les aberrations citées, mais ma foi, qu'on ne peut faire autrement. Mon point de vue est différent : si une limite est stupide et arbitraire et que même ceux qui l'établissent le reconnaissent, c'est qu'elle est inutile.

Le crime en voiture c'est d'être responsable d'un accident. C'est cela qui doit être puni, et rien d'autre. Et c'est de cette punition-là, et d'aucune autre, que découleront les comportements responsables de la part des conducteurs. Toutes les autres restrictions, limitations et interdictions détournent le problème.

Les journaux ramènent régulièrement des anecdotes sur des conducteurs qui se font attrapper avec 1.5 g d'alcool dans le sang. Et je pense que vous serez surpris d'apprendre qu'un des pays avec le plus de conducteurs ivres sur la route, la Russie, impose un taux maximal d'alcool au volant de... zéro pour mille.

Les restrictions imposées par l'État sont tellement passées dans les moeurs qu'il devient difficile d'imaginer un monde sans elles. C'est pourtant le cas. Comme la loi est par nature explicite, il y a une infinité de situations non couvertes. Rien ne vous empêche de conduire en jouant du banjo ou en pelotant la passagère. Dans des comportements plus communs, il n'est pas interdit de fumer en conduisant, de chercher une station de radio sur l'autoroute, de converser avec le conducteur — alors que c'est interdit dans les transports en commun précisément pour des questions de sécurité — ou d'écouter la musique à fond en tapotant la mesure sur le tableau de bord. Il n'est pas interdit de conduire après une nuit blanche. Il n'est pas interdit de conduire après avoir passé vingt ans sans toucher un volant. Faudrait-il autant de lois pour tous ces cas ? Chacun d'eux est potentiellement plus dangereux qu'un adulte en bonne santé faisant preuve de toute la vigilance possible et qui roule à 0.51 pour mille d'alcool dans le sang...

Changer le comportement des gens par décret est le vieux fantasme des étatistes et n'est voué qu'à l'échec. S'il suffisait de baisser le taux d'alcoolémie légal pour faire baisser les accidents, pourquoi ne pas avoir décidé de le mettre à zéro ? Pourquoi ne pas décréter simplement que les gens ne doivent pas avoir d'accident ? Puisque c'est si simple, les dirigeants de l'État souhaitent-ils donc que des gens continuent à mourir sur la route ?

Ou réalisent-ils quelque part dans leur subconscient que leurs lois ne changent que la proportion des gens qu'ils peuvent envoyer en prison ?

Il n'y a aucune relation entre le taux légal d'alcool au volant et le comportement des buveurs, sauf la peur du gendarme. Cette attitude est la plus contre-productive de toutes, puisqu'elle lie le respect de la limite à la présence des surveillants. La relation entre l'alcoolémie et la maîtrise de la conduite s'efface devant la relation légaliste entre l'alcoolémie et le couperet de la loi. Elle déresponsabilise en déplaçant le problème du point de vue de la responsabilité et de la maîtrise de ses actes, vers le simple respect de règlements arbitraires.

Lorsque, en leur posant la question sur cette interdiction, les gens répondent « parce que c'est interdit » au lieu de « parce que c'est dangereux », ils ont perdu leur compréhension du problème. A cause des règlementations de l'État.